Le trèfle bleu ****- Firouz Nadji-Ghazvini

Denoël & D’ailleurs, Avril 2009
Traduit du persan par V. Despagnet
Editeur:
On est en Iran, printemps 2004. Atefeh, jeune adolescente, mène une vie mélancolique sur les bords de la mer Caspienne, dans un petit village humide balayé par les vents. Sans sa mère, morte, ni son père, disparu, elle grandit auprès d’un grand-père très âgé qui illumine sa vie de ses contes de jeune matelot du temps de la grandeur de l’Iran. Sur le dos de la fillette, on distingue un étrange trèfle bleu, né d’une goutte d’encre autrefois versée sur une égratignure. Dans ce microcosme, deux veuves de guerre pleines de sollicitude surveillent avec inquiétude sa féminité naissante : elles commencent par lui bander les seins puis lui rasent la tête. Il flotte une sourde angoisse. Une course contre la montre s’engage entre la puberté de la gamine et les obsessions sexuelles d’un mollah et de miliciens bassidjis. Restituant avec une magie délicate les rêves fragiles d’une adolescente fauchée par une glaçante folie intégriste, Firouz Nadji-Ghazvini met subtilement en scène le quotidien souvent sinistre et parfois comique de tout un peuple pris en otage par un système totalitaire.
Avis:
Je suis sous le choc de cette lecture que je viens d’achever. Ce livre date déjà de quelques mois, il est même en danger de retour*!
Ce livre me tentait depuis un moment, je l’ai ramené chez moi, pour le sauver d’un retour certain et imminent. Et là c’est le choc, un texte magnifique dur et tendre, ténu et hurlant en silence. Splendide.
On ne comprend que peu à peu ce qui se trame dans ce village reculé de l’Iran où une jeune fille d’une douzaine d’années vit élevée par son grand-père et deux veuves. Toutes ces personnes vivent dans le souvenir d’un autrefois déjà terrible: guerre où meurent les maris des deux vieilles femmes, souvenirs du grand-père, souvenirs d’un Iran occupé par les russes ou les anglais, mais où la poésie avait droit de cité. La petite fille aussi vit dans ses souvenirs, elle entretient une conversation imaginaire avec sa grand amie, sa presque sœur, juive qui a quitté le pays avec ses parents, elle est très seule.
Les vieilles femmes sont très inquiètes de la voir grandir.
Page 23: « Une femme sans protecteur est comme une biche face à cent bêtes sauvages affamés » et cette sentence qui parait un radotage de vieille femme va prendre tout son sens dans la suite de l’histoire.On lui bande les seins, on l’habille dans un tchador de plus en plus couvrant.
Ceux sont les religieux qui font la loi dans ce village.Le grand-père aurait aimé expliquer à sa petite fille « que tant qu’ils seraient ostracisés dans leur propre ville, ils seraient comme des juifs égarés. Il aurait voulu lui montrer qu’ils ne vivaient plus sur le territoire de leurs ancêtres mais dans un camp de concentration grand comme le pays tout entier,où ils étaient condamnés à pousser des cris silencieux,l’âme meurtrie, courbé sous le joug de lois cauchemardesques issues d’une culture plus cruelle encore que les bêtes sauvages »(Page 57)
L’hypocrisie et la cruauté des miliciens bassidjis et d’un juge intégriste apparaissent au fil des pages, l’angoisse monte.
Ce texte écrit par un exilé iranien doit être lu au même titre qu’un Yasmina Khadra beaucoup plus médiatisé. Il y a ici beaucoup de poésie de tendresse combattantes d’un pouvoir dément et obscur.
Voir aussi cette critique sur Culturofil.net
*Retour: Opération que le libraire est contraint d’effectuer afin de garder sa trésorerie et de faire place aux petits nouveaux toujours plus nombreux. Toute l’année sauf en période de grande affluence: Vacances d’été, Noël, Pâques… La période de retour est déprimante. Retourner les livres sans leur avoir donné assez de chance d’exister, de trouver un foyer, sans avoir eu le temps de les lire, me rend triste et souvent en colère, car ce sont toujours les mêmes livres qui on la grâce du public: ceux dont on parle à la télé, à la radio, dans les journaux (et encore avec insistance!).
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