La belle étoile**** – Fukaya Akira

Fayard, broché, Janvier 2011
Editeur:
Un jour, les révolutionnaires sont fatigués. Gioachino, ouvrier métallurgiste, s’est battu dans la Résistance en Italie. En 1946-1947, il voulait continuer la guerre civile contre la bourgeoisie. Mais brusquement, il renonce et conduit femme et enfants en France, au bocage.
Giovan avait sept ans quand son père l’a arraché aux Pouilles, à la langue italienne. Cinq ans plus tard, il ne comprend toujours pas ce départ précipité. Inlassablement, il questionne, il interroge autour de lui : les ouvriers de l’usine où travaille son père, les cheminots rouges. Mais personne ne répond, il ne récolte que des fragments de l’histoire paternelle et de nouveaux mystères. Son frère aîné, Pietro, lui, cherche ailleurs, dans la littérature révolutionnaire et l’Histoire, ce que ce père refuse de leur transmettre. Pourtant, un matin de 1968, quand les ouvriers occupent l’usine, Gioachino doit bien redescendre dans l’arène. Giovan et Pietro vont-ils enfin voir la légende des révolutions reprendre son cours ?
Parce que la langue des révolutions est celle de l’adolescence de l’âme, c’était à un enfant qu’il revenait de chanter le long poème des insurrections manquées de France et d’Italie, et d’évoquer la mystérieuse transmission de la violence révolutionnaire.
Avis:
Voici un livre envoyé par le magazine « Page » qui a le mérite de me faire découvrir des auteurs hors grand battage médiatique et que je n’avais jamais lus.
J’avais ainsi été très impressionnée par le texte d’Alain Monnier: « Je vous raconterai ». Son originalité, sa force…
Le narrateur est un jeune garçon, Giovan, un petit italien exilé de ses Pouilles natales, malhabile et solitaire. Il est hanté par une seule question obsédante: pourquoi le Père a-t-il quitté les Pouilles, puisqu’on ne veut rien lui expliquer, y-a-t-il un secret dont il doive avoir honte? Car le Père n’a rien dit et tout semble obscur et angoissant: « Depuis qu’on a laissé Foggia, je ne connais que deux âges: le vieux temps avec les cousins déchainés, le ballon qui tape au trottoir, la foule qui bouscule, braille, la mer qui monte si vite le dimanche au bout de la route déserte, surchauffée. Et maintenant l’âge dernier, éteint, le silence des nuits, les arbres à brume, le ciel à pluie, à crachin. »
Le Père, ouvrier métallurgique, est un ancien résistant, un combattant italien, un communiste de la première heure, on le respecte. Mais arrivé en France, il devient celui pour qui le beau langage, les justes tournures de la langue française restent enviables et inaccessibles. Le fils espère voir son père prendre sa place parmi ses camarades ouvriers, c’est alors que le printemps 68 pointe le bout de son nez, le Père est alors recherché pour son expérience.
Le fils qui a un grand besoin de reconnaissance au nom du Père, exulte au rythme de ce mouvement révolutionnaire.
Jean Védrines peint dans une belle langue imagée le monde étrange que doit décrypter jour après jour le jeune Giovan, le monde des adultes qu’il observe avec acuité, et la belle nature qui l’entoure, une nature brut que l’ainé connait comme sa poche et lui restitue dans toute sa poésie. Page 249: « D’un coup je la vois, la rivière! Grâce aux mots du frère, à leur morsure, la voilà qui coule au plus resserré de la gorge, ondule sans un bruit, un éclat d’eau noire, une bête longue et souple.
Comme le « Sébastien » de Jean-Pierre Spilmont que l’on prend pour un demeuré, Giovan ressent avec une grande acuité ce qui se trame dans le coeur des hommes entre les silences et les peurs. Page 247: « J’ai peur soudain, comme à chaque fois qu’il se lance dans des phrases à reproches, veut parler violent, cassant. J’ai peur parce que je ne comprends pas, n’entends rien à ces bouts de phrases, ni la mocheté, ni la brune… Le frère, il est particulier (…) dés qu’il ouvre la bouche pour des vacheries, il fait venir des mots crachés, des éclats de voix qu’il est le seul à saisir, lui… Et avec ces hurlades, ces phrases tronquées, monte en moi la peur d’être toujours l’imbécile, le petit qui ne comprend rien, qui doit juste se terrer, se recroqueviller pour écouter. »
Je pense à Giono à son invention de langage, à ses images: Dans « le Chant du Monde » par exemple, au tout début: « La nuit. Le fleuve roulait à coups d’épaules à travers la forêt. » Et un peu plus loin (p. 411 dans la Pléiade): « Le courant portait dru. Il n’y avait plus à craindre les souches et les hauts-fonds. On était sur le gras de l’eau. »
Un roman très riche, à lire et relire.
0 commentaire